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Historique de la musicothérapie

Cf. Edith Lecourt, Découvrir la musicothérapie, Eyrolles, 2005


La musicothérapie ne fait pas partie des découvertes thérapeutiques du XXe siècle et elle dépasse les mouvements de mode actuels, qui l’utilisent pourtant, comme les médecines douces, les médiations thérapeutiques, les thérapies corporelles, etc. D’autre part, il s’agit d’un phénomène universel, ce «pouvoir thérapeutique» de la musique étant signalé et utilisé dans toutes les cultures.


Les concepts de musique et, particulièrement, de musicothérapie sont restés associés à celui d’harmonie universelle, avec pour seule nuance une accentuation, à certaines périodes, du versant subjectif (harmonie intérieure à l’individu), par rapport au versant sociétal (harmonie liée à l’environnement — société, cosmos), mettant l’accent, selon le cas, sur les références religieuses ou psychologiques. Ce qui a changé, au cours de ces cinquante dernières années, c’est la profes- sionnalisation de ces pratiques au niveau international.


L’histoire nous a laissé deux prototypes culturels précis de séances de musicothérapie, qui ont parcouru les siècles et les continents, et auxquels on se réfère encore très couramment : il s’agit de la catharsis, d’une part, de la musique sédative, de l’autre.


La musique cathartique


Dans l’Antiquité déjà, la musique était utilisée à des fins cathartiques par les Corybantes et dans les Bacchanales, mais cette forme hante encore les boîtes de nuit et les festivals rock...


Elle a, par exemple, donné naissance au tarentisme, traitement des effets des «morsures» de tarentule (celle-ci ne mord pas réellement), connu dès le Moyen Âge et encore active notamment en Italie du Sud. La tarentule est une grosse araignée noire, velue, familière des régions méridionales. On lui attribuait l’origine de pathologies mentales se manifestant soit par des états de grande agitation, soit par une fermeture totale du sujet, sous forme de prostration. Le traitement consistait à trouver d’urgence un musicien qui joue de la musique de façon continue jusqu’à cessation du symptôme. Il fallait le renouveler à chaque crise. Le patient était invité à s’exprimer et à danser pour «faire sortir le mal».


Dans ce cas, la musique était considérée comme le seul traitement efficace, pour mettre fin aux états d’agitation ou de torpeur du malade.


Depuis, on appelle «tarentelle» une forme de musique de danse, rapide, originaire du Sud de l’Italie.


La musique sédative


Ce modèle est illustré culturellement par le récit de David calmant par sa lyre les crises d’angoisse du roi Saül, selon la version biblique. Cet apaisement est le résultat de l’exorcisme des mauvais esprits. Dans ce cas encore, on insiste sur la spécificité et l’unicité du traitement.


Déjà en 1650 le grand musicologue et philosophe A. Kircher considérait ce traitement comme l’une des principales formes de musicothérapie.


Les effets musicothérapiques relevés au cours des siècles sont, en effet, le rétablissement de l’équilibre perdu (équilibre moral, humoral, psychologique, on suit ici la progression des théories médicales elles-mêmes), la stimulation, l’apaisement, la revitalisation. Dépression, mélancolie ou états d’agitation sont les indications les plus souvent citées . Il en ressort que la musique est particulièrement active sur la sphère émotionnelle, qu’elle a des implications physiques et psychologiques, et, qu’en tant qu’agent actif, elle peut avoir, selon son utilisation, des effets contraires.


Histoire contemporaine


La naissance de la psychiatrie, plus précisément le passage du statut de «fou» à celui de «malade», a ouvert la porte à l’application de traitements et, parmi eux, à la musicothérapie. Dès 1801, Philippe Pinel, fondateur de la psychiatrie française, cite, dans sa thèse, l’exemple d’un malade pour le réta- blissement duquel la redécouverte de la pratique du violon joua un rôle essentiel. Ce n’est que quelques années plus tard — entre 1820 et 1880 —, avec la mise en place de son programme de réadaptation, le « traitement moral de la folie », que la pratique de la musicothérapie sera officiellement développée par Esquirol à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, mais aussi par Leuret, Dupré, Nathan, Bourneville, etc., soit la première génération de médecins exerçant dans cette nouvelle spécialité, la psychiatrie.


De Paris, le mouvement s’étend aux régions du Centre, en Dordogne (la fondation J. Bost, par exemple), en Bretagne, dans le Nord, et passe les frontières en direction de la Belgique, de la Grande-Bretagne et de l’Italie.


Les séances de musicothérapie d’alors consistaient en l’organisation de concerts avec, à l’hôpital de la Salpêtrière, par exemple, la participation des premiers élèves du conservatoire de Paris, récemment créé. Les programmes proposés sont éclectiques afin de déterminer les musiques les plus efficaces.


D’autre part, on constitue des chorales et des orchestres de malades pour lesquels des cours de musique sont institués à l’intérieur de l’hôpital.


Comment expliquer ce développement? En s’interrogeant sur le contexte culturel et politique de l’époque. Sur le plan culturel, la musicothérapie n’est alors qu’une application d’un programme musical national et nationaliste. Ce dernier a pour objectifs la socialisation des citoyens et le regroupement de la nation.


C’est, en effet, l’époque des orphéons, de la création de centaines de groupes musicaux, du développement de l’enseignement de la musique, et du lancement de grandes fêtes de la musique. La musicothérapie, à cette époque, était ainsi une thérapie de groupe (avant l’essor des thérapies de groupes verbales, avec la Seconde Guerre mondiale), voire, dans certains cas, une thérapie de masse, vu le nombre de patients qui pouvaient être ainsi rassemblés. À la fin du XIXe siècle on ne trouve que peu de traces de cette pratique. Comment expliquer le déclin et l’oubli de la musicothérapie constaté à la fin du XIXe siècle ?


Les découvertes de la psychiatrie, de la psychologie, de la psychanalyse viendront apporter d’autres enthousiasmes et pistes de recherches. La chimiothérapie, en particulier, permettra de répondre de façon efficace aux symptômes habituellement proposés à la musicothérapie : grande agitation ou prostration, apathie. De plus, sur le plan musical, on note de grands bouleversements, comme l’abandon de l’harmonie dans le dodécaphonisme (Schöenberg) et l’introduction du bruit dans la musique concrète.


Il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour un nouveau développement de la musicothérapie, favorisé cette fois par les techniques d’enregistrement et de reproduction musicale, et par certains échecs thérapeutiques, comme les difficultés rencontrées dans le traitement des psychoses, des états autistiques, c’est-à-dire des pathologies mentales les plus lourdes.


Lorsqu’en 1954 Jacques Jost s’intéresse à l’influence de l’audition musicale sur l’individu, c’est en tant que technicien, dans une mise en relation de l’écoute de l’enregistrement musical et de sa matérialisation par l’enregistrement encéphalographique, expérience menée sous la direction de Robert Francès.


Pourtant, si la technique a avancé, les idées qui amènent Jacques Jost et Jacques Porte (musicologue) quelques années plus tard à proposer des séances de musicothérapie, restent les mêmes qu’aux siècles précédents : l’harmonie musicale agirait comme par osmose, sur l’organisme humain, harmonisant corps et âme. C’est, pour Jacques Jost, par conditionnement et par suggestion que l’on obtiendra, par la musique, les effets thérapeutiques souhaités. Plus précisément, il est clair que toute musique n’est pas bénéfique, certaines sont même considérées comme dangereuses pour l’équilibre de l’individu. Il est ainsi de la responsabilité du thérapeute de sélectionner les musiques «thérapeutiques» pour son patient. Car l’idée est bien ici d’une prescription et d’une thérapie musicale. Par la suite, un abord plus direct de la musique, les productions sonores et musicales des patients eux-mêmes ont ouvert d’autres perspectives cliniques et théoriques.


Enfin, dans les années 1970, grâce au dentiste Maurice Gabai, un développement particulier de l’utilisation de la musique contre l’anxiété en cabinet dentaire a été réalisé, entraînant aussi des applications dans la préparation à l’accouchement.


C’est déjà au cours des années 50 que la première association américaine de musicothérapie voit le jour. En France, il faut attendre la fin des années 60 pour la création d’un centre de recherche et d’application, et c’est en 1972 qu’est créée une première association, une seconde en 1980. Le mouvement est alors bien installé ; la formation de musicothérapeutes mise en place dès le début associatif est alors relayée par un enseignement à l’université, ce dernier jouant un rôle important dans l’élévation du niveau de formation et le développement de la recherche dans ce domaine.


Une approche psychologique nouvelle de la musique, associée à l’expérience clinique accumulée au cours de ces années et enrichie des échanges internationaux (le premier congrès mondial de musicothérapie est organisé à Paris en 1974 à l’hôpital de la Salpêtrière), ouvre des voies à une élaboration scientifique de ce domaine si complexe. On peut ainsi identifier un tournant scientifique et professionnel dans l’histoire de la musicothérapie.


Il existe désormais non seulement un développement de la musicothérapie dans les différents pays, mais également une organisation européenne et une fédération mondiale. Les pratiques et les applications sont très nombreuses, diverses et variées, tandis que les bases théoriques sont influencées, dans chaque pays, par les courants psychothérapiques, tel que:


  • Cognitif-comportamental: en Italie Mauro Scardovelli inspiré à la PNL
  • Psychodinamique: en Argentine Rolando Benenzon, en France Edith Lecourt, en Angleterre Mary Priestley
  • Humaniste: en Angleterre Nordoff-Robbins, Juliette Alvin, Leslie Bunt ; en Italie Giacomo Gaggero

Au delà des modèles théoriques, la musicothérapie fait de nos jours l’objet de nombreuses recherches scientifiques notamment dans les domaines de lutte contre la douleur et de l’anxiété.


Par ailleurs, la musicothérapie, sans pour autant être reconnue par la législation française, fait partie des techniques non médicamenteuse recommandée par les autorités de santé et se pratique autant dans les établissements de rééducation et de soin (EHPAD, IME, MAS, SSR, etc) que dans le milieu hospitalier (service de maternité, de psychiatrie, de réanimation, etc.) ou socio-éducatif (centre de réinsertion, prison, éducation nationale).


La musicothérapie est enseignée en milieu universitaire (DU) et en 2010 s’est créé le premier Master d’art thérapie à l’université Paris Descartes sous la direction d’Edith Lecourt.


Bibliographie


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